« J'en sais rien, putain... Il y est allé hier matin... Puis j'l'ai plus revu !
– On a pourtant la certitude de t'avoir vu avec le soir. D'après ce qu'on sait, il est sorti de chez toi à dix-huit heures.
– C'est des conneries c'que vous avez vu.
– Mon très cher, il est bien triste de constater que vous n'êtes pas un chic garçon. »

Le petit homme gras se leva de son fauteuil voltaire à dossier haut, duquel il sortit non sans effort mais plein d'élégance.
La faible lumière qui perçait les volets crevés de la bâtisse ne fit apparaître qu'un être entre lumière et ombre, strié dans sa joue rose et grasse, dont la barbe rousse-blanche prenait toutes les nuances du jour tentant difficilement de se faire un chemin au coeur des ténèbres.
Le silence se fit pesant. On n'entendit plus que le bruit des planches moisies grincer au contact de l'homme qui venait de se lever. L'autre, nu, suspendu par les mains au-dessus du sol par un sortilège liant, sembla détourner la vue devant ce qui semblait être un petit grand-père apprêté pour le thé. De son côté, l'homme tout en noir, massif, attendait, la mâchoire aussi tranchante que le sortilège qui s'apprêtait à sortir de sa baguette magique. Il est de ces moments suspendus où l'humanité lutte, preuve finale de sa beauté, la beauté de l'humanité, sans doutes. C'est ici que se situait l'homme suspendu, prisonnier plus atterré d'être face à tant de monstruosité que soucieux de préserver quoi que ce soit de sa vie. Il savait que sa femme avait été tuée, il ignorait où se trouvait son jeune enfant - quant à ceux qu'il protégeait, des nés-moldus en fuite, c'était bien la raison pour laquelle il se retrouvait nu, ici, dans cette pièce abandonnée d'une maison abandonnée.
Le vieil homme s'approcha, et la lumière se reposa sur sa veste de costume en velours noir. L'homme suspendu observa quelques infimes particules de poussière s'élever des épaules rebondies de son bourreau qui se rapprochait de lui tel une danseuse exécutant son morceau de ballet.

« Mon doux agneau... La voix du petit homme était mielleuse, comme si chaque syllabe déposée dans l'air venait couler avec chaleur sur le monde l'entourant. Je ne cache pas mon excitation devant tant de courage et de témérité, mais, voyez-vous, il n'y a rien d'autre que l'honnêteté devant les faits qui puisse vous faire sortir de ce lieu sordide où un tel être ne peut se trouver indéfiniment sans percer la beauté de l'univers. »

Ferdinand Rosier était maintenant juste devant l'homme nu.
Sa main potelée et blanche se posa sur le ventre musclé du prisonnier. Ses doigts dessinèrent les fins muscles abdominaux tendus et douloureux de l'homme qui frissonna au même moment, d'horreur, sûrement. L'homme en noir ne bougea pas et observait la scène. Les lèvres dodues de Rosier étaient entrouvertes, comme s'il s'apprêtait à avaler une pâtisserie longtemps désirées. Quant à ses yeux, ils n'exprimaient rien, seuls marqueurs d'une profonde froideur d'âme qui sommeillait en lui.
Il parcourra le corps du prisonnier: cuisses, pectoraux, cou, dos et finit par poser sa main sur le sexe de l'homme. Il le palpa comme un boucher s'assurerait de la qualité de sa viande avant la découpe et la vente, choisissant le meilleur morceau pour les clients les plus avides de sang et sembla perdu dans ses pensées. Puis il leva les yeux, la main entourant toujours l'entrejambe de son prisonnier.

« Il est regrettable que vous vous soyez servi de cette partie du corps pour vous reproduire avec une traitre. Grâce au ciel, soyez-en reconnaissant au Seigneur des Ténèbres, nous avons débarrassé de l'univers cette vermine bourbiste qui ne saura entacher davantage un corps tel que le vôtre. »

Il lâcha le membre et recula. Du sang coulait de sa main. Il tendit la main, comme dégoûté, et l'homme en noir sortit un petit mouchoir de soie qui absorba aussitôt le liquide rouge.
De son côté, le prisonnier sembla prendre plusieurs minutes avant de comprendre ce qui venait de lui arriver. Il baissa la tête, et comme pris par la douleur au moment où il posait les yeux sur son sexe, il se mit à hurler. Le cri sembla déranger Rosier qui fit une moue agacée en détournant le regard de la souffrance de l'homme. La magie informulée demeurait une de ses pratiques favorites.

« Très cher ami, je vous laisse entre les mains expertes de F. qui a bien des semaines devant lui pour vous faire parler. Je suis au regret de vous annoncer que nous n'aurons plus, hélas, le plaisir de nous revoir... Mais sachez que cette rencontre fut pour moi un moment exquis partagé en votre compagnie. »

Le prisonnier suffoquait tandis que le Directeur du Département de Contrôle de la Population magique transplana.

Quelques secondes plus tard, sa silhouette rebondie entourée de velours et de lavande apparut dans la zone de transplanage réservée aux membres du gouvernement, à Pré-au-lard. Un jeune homme, de taille moyenne, les cheveux courts, le costume rayé bleu-marine parfaitement taillé selon sa fine silhouette, une pile de dossiers sous le bras, attendait l'air concentré et sérieux. Il s'approcha de Ferdinand Rosier quand ce dernier apparut, tandis que plusieurs Brigadiers de la Police Magique l'accompagnèrent.
Le petit homme, aux cheveux blancs-roux à bouclettes et à la barbe impeccables, était vêtu d'un pantalon et d'une veste de costume tous deux taillés dans du velours noir. Un gilet aux motifs jacquard était rehaussé d'un carré de soie rouge-sang noué en cravate, tandis que ses petits pieds étaient enfermés dans des mocassins à glands de velours noirs. Une telle allure de dandy excentrique contrastait fortement avec les uniformes des Brigadiers qui ne prêtèrent absolument pas attention à cette différence. Ferdinand Rosier, Directeur du Département de Contrôle de la Population magique était sûrement un des membres les plus influents du gouvernements ; Mangemort de la première heure, politicien hors-pair et probablement entouré d'une trentaine d'espions à sa solde glissés dans la foule compacte qui s'était agglutinée à Pré-au-Lard.
Le jeune homme à costume, Andrew Neeson, secrétaire particulier de Ferdinand Rosier, tendit un des parapheurs qu'il tenait entre ses fins bras. Le petit homme sortit de sa poche intérieure une paire de lunettes, aux montures énormes et noires, qu'il plaça sur son nez potelé. En quelques secondes il prit connaissance des informations qui lui étaient transmises et chuchota délicatement quelques ordres à Neeson qui s'empressa de disparaître pour les appliquer. Rangeant par l'occasion ses lunettes, le Mangemort-Politicien fit un large sourire doucereux aux Brigadiers chargés de sa sécurité personnelle, et s'avança en direction de la loge des membres du gouvernement.

Le Seigneur des Ténèbres n'était pas encore arrivé.
Le regard froid de Ferdinand Rosier parcourut la foule immense. Pendant un temps, sa face poudrée laissa voir un profond dégoût pour cette foule qu'il avait appris, depuis enfant, à mépriser. Il était de l'autre côté, le savait, et détenait ici une fierté mêlée de crainte pour ce peuple qui lui semblait rempli d'une constante menace. L'odeur de lavande qu'il traînait avec lui lui permettait sans doute de cacher celle de la haine qui l'entourait depuis l'enfance.
Il avait donc été décidé, pour rassurer cette foule idiote, de mener une importante cérémonie en l'honneur du Purisme que Voldemort et ses Mangemorts incarnaient maintenant depuis plusieurs décennies, mais surtout depuis que le Seigneur des Ténèbres avait atteint les plus hautes sphères du pouvoir. Le régime, fragilisé par plusieurs attentats, ne cessait de faire disparaître, par les services secrets que contrôlait Rosier, quelques personnalités gênantes, tandis que la propagande battait son plein. Un tel événement devait en faire partie.
Mais il était désormais devenu rare que les aristocrates Sang-Purs, membres du gouvernement, ou bien encore les Mangemorts dans leur entièreté se retrouvassent au contact du reste de la population. Et cette dernière, constamment pliée sous le joug de la dictature qui s'était installée, avait tout intérêt à éviter toute rencontre possible avec qui que ce soit de trop proche de Voldemort.

Le petit homme soupira d'un air pincé, comme une vieille dame obligée de supporter un thé chez une comparse qu'elle n'apprécie guère.
Il détourna son regard froid et sa face potelée de la foule et partit s'installer dans le fauteuil étiqueté à son nom, à la gauche de l'immense trône réservé à Voldemort. A la droite de ce dernier attendait le jeune et beau Alexander Lestrange vers lequel le Directeur du Département de Contrôle de la Population magique se pencha, manquant de faire craquer les boutons de son gilet-jacquard.

« Encore une splendide journée, n'est-il pas, cher ami? »

Les festivités pouvaient commencer.
A moins qu'elles ne le fussent un peu plus tôt, là où un homme nu suspendu à un plafond dégoulinait lentement de son propre sang.