Keylian faisait souvent des heures supplémentaires dans l'entreprise familiale. Non pas qu'il voulait impressionner son paternel même si, au fond de lui, il désirait beaucoup lui plaire, mais avant toutes choses il voulait donner du mieux qu'il pouvait dans ce stage – stage qu'il avait d'ailleurs demandé à prolonger auprès de son père après les vacances scolaires et tout cela en parallèle de ses études supérieures évidemment. Cela faisait qu'il ne passait pas beaucoup de temps chez ses parents et qu'il y rentrait souvent tard le soir.

La rentrée était passée donc l'école avait reprit et en cela sa petite sœur Hope était elle aussi retournée à Poudlard. Depuis leur conversation dans le parc la dernière fois, Keylian faisait en sorte d'avoir du temps à consacrer à sa sœur – au moins de la voir une fois par semaine quand ils se croisaient dans le château juste pour venir prendre de ses nouvelles. C'était important pour lui. Il ne voulait pas ignorer une nouvelle fois ses responsabilités en tant que grand-frère et elle était importante pour lui. La décevoir une nouvelle fois serait une catastrophe pour lui et il ne se pardonnerait jamais. Quand il ne pouvait pas la rencontrer, il lui envoyait un hibou en lui faisant ses plus plates excuses mais en général c'était durant le weekend qu'ils se rencontraient aux Trois balais ou dans un coin tranquille du parc du château.

Ce soir-là, il était resté plus tard que prévu dans l'entreprise car il voulait à tous pris terminer l'inventaire qu'ils avaient commencé avec son père. Son père lui avait demandé si cela ne le dérangeait pas de terminer tout seul et gonflé par l'orgueil et la volonté qu'il lui fasse confiance, Keylian avait d'office répondu qu'il saurait se débrouiller. Avec une détermination infaillible dans le ton de sa voix. Cela faisait assez longtemps maintenant qu'il travaillait avec lui, il avait confiance en ses capacités et il connaissait l'entreprise plutôt bien à présent.

Il n'avait pas envie de rentrer tout de suite, il était à peine vingt heures et le lendemain il ne commençait pas ses cours avant dix heures alors il choisit d'aller au bar. Faire des heures supplémentaires lui permettait également une sorte d'échappatoire dans sa vie privée auquel il avait de moins en moins envie d'y penser. Il avait une certaine impatience à son mariage prochain qui lui octroierait certes un peu plus de liberté car il ne serait pas forcé d'habiter chez ses parents et il pourrait acheter une nouvelle maison. Pourtant, il y avait aussi quelque chose en lui qui saignait pour la présence d'Arya à ses côtés alors qu'il savait qu'il ne faudrait plus qu'il la voit. Pourtant lorsqu'il la croisait dans Poudlard, ses yeux aussitôt ne pouvaient s'empêcher de la suivre, de la couvrir de désir et d'imaginer ce qu'il pourrait bien lui faire la prochaine fois qu'ils seraient ensemble... Saleté de tête ! Sortez-lui ces idées de là !

Cela faisait plus d'une demie-heure qu'il était assis au bar en train de siroter un verre de whisky (habitude qu'il avait pris après une longe journée de cours et de travail). Il n'entendit pas tout de suite la jeune femme qui se glissa à ses côtés ; ce n'est que lorsqu'elle lui toucha le bras qu'il sortit de ses pensées et qu'il tourna la tête. La jolie blondinette lui sourit de ce sourire ensorceleur qui devait en charmer plus d'un mais Keylian n'avait vraiment pas la tête à ça. « Bonsoir mon mignon. » Technique de drague nulle mais Keylian était bien trop déprimé pour y prêter attention. « Tu as l'air un peu maussade, je n'ai pas pu m'empêcher de t'observer de loin avant de décider de venir voir si ça allait. Ça te dit un peu de compagnie ? Puis-je faire quelque chose pour toi ? »

Ça sentait la prostituée à plein nez...

« Nan, il n'y a rien que tu puisses faire pour m'aider, oublie cette idée. » rétorqua t-il aussitôt un peu sèchement et il le regretta un peu juste après en voyant ce regard choqué et offusqué dans le regard de la jeune femme aux formes décidément généreusement aguichantes. En réalité, Keylian comme tout homme qui se respectait ne pouvait s'empêcher d'y glisser un regard. Relevant les yeux vers ses lèvres pulpeuses et rouges fraise il se dit que pourquoi pas... Il avait bien besoin d'exorciser Arya de ses pensées ce soir. Et puis, de plus en plus, il se disait que ça ne servait à rien de s'attacher. A qui que ce soit.

« Je peux prendre l'apparence de qui que tu veux, si tel est ton désir. Je n'aime pas voir les beaux garçons si tristes....» et sur ces mots, et devant l'étonnement accru de Keylian, elle commença à changer d'apparence. Keylian réalisa alors qu'il avait affaire à une métamorphomage, un don extrêmement rare. Il avait à présent une belle femme aux cheveux auburn, le regard d'une joli couleur noisette posé sur lui, des lèvres fines et invitantes et séduisantes... Une métamorphomage... Intéressant, très intéressant.

« En fait... Si, peut-être que vous pourriez m'aider, mais pas ici. » Il vida son verre d'une traite avant de se lever et d'attraper la femme à présent auburn par la taille et de l'entraîner hors de la salle. Il savait qu'il y avait des chambres à l'étage. Au moment où ils allaient monter les escaliers qui allaient aux étages, Keylian s'immobilisa alors que son regard s'arrêtait sur la porte du pub qui venait de s'ouvrir. Il sentit son cœur faire un bond et il laissa échapper une exclamation de surprise suivi de : « Arya, c'est toi ? » Ce n'était pas Arya. C'était en réalité Ayla, mais les deux étaient jumelles et bien qu'il avait toujours su les distinguer l'une et l'autre, ce soir il ne voyait pas la différence. Son regard était troublé. Pour lui c'était Arya. Automatiquement, il avait oublié déjà la présence de la femme à côté de lui et il avait même relâché sa taille. Celle-ci ne semblait pas avoir réellement apprécié d'ailleurs au vu de l'expression qu'elle affichait... Sans même faire plus attention à elle, Keylian s'approcha de quelques pas en direction d'Ayla en croyant toujours voir son Arya. Quelle aubaine... Juste au moment où il désirait la voir ce soir, la voilà qui apparaissait...

Keylian avait souvent su comment différencier les deux en général. Elles avaient beau être jumelles, il y avait des différences dans leur attitude, leur façon de se tenir, même dans leur regard. Keylian avait toujours su faire la différence et puis il était quand même sortit avec Arya assez longtemps pour pouvoir la reconnaître. Pourtant, ce soir, c'était différent et peut-être que son subconscient désirait tellement que ce soit elle qu'il se convainquait lui-même que c'était elle. Peut-être aussi que c'était la bière qu'il avait bu qui altérait un peu ses perceptions. Keylian n'était pas du genre à se saoûler en général, mais parfois on avait besoin de tout lâcher.

Seulement, dès les premières secondes alors qu'il lui demandait « Arya, c'est toi ? » il réalisa lentement que ce  n'était pas elle. Et lorsqu'elle se rapprocha pour murmurer quelques mots à la femme qui l'accompagnait,  il reconnut les intonations dans sa voix. Elles étaient légèrement différente de celles d'Arya. Il connaissait Arya par cœur. Déception... « Oh, Ayla, c'est toi... » Il se laissa entraîner par elle jusqu'à une table plus loin, sans opposer la moindre résistance et prit place sur une chaise. Tiens, il aurait bien envie d'une autre bière. Ayla lui laisserait-il en avoir une autre ? La colère l'envahit alors et y laissant soudainement libre court il s'écria avec protestation.

« Qu'est-ce qui m'a pris ? Et toi, qu'est-ce qui t'a pris de faire fuir cette femme ?? En quoi ça te regarde ce que je fais de mes soirées ?? Cela ne t'ait jamais venu à l'esprit que j'en avais besoin pour me changer les idées ??  Non, bien sûr, comment pourrais-tu. Comment pourrais-tu te mettre à ma place ? Ce n'est pas toi qui souffre chaque jour en imaginant et en voyant Arya accroché au bras de l'autre c****** de Nott alors que c'est moi qui aurait dû y être ! »

Seul Thad pourrait le comprendre. Lui, il ne lui ferait pas de reproches. C'était ça, être frères de cœur.

Keylian insultait rarement mais là il en avait marre que l'on se permette de décider pour lui ce qu'il devait et ne devait pas faire. Il restait en général toujours courtois, toujours poli. Il se retenait, pourtant aujourd'hui – et tous ces derniers mois en l'occurrence – il avait les nerfs à vif et tellement qu'il voulait hurler. Tellement sur le cœur. Il avait envie d'expulser Arya de son système aussi, mais ça ce n'était pas si difficile. Quand on était si accro à quelque chose, c'était dur, très dur de s'en séparer.  Cette jeune femme, qu'Ayla avait fait fuir, aurait pu lui permettre la distraction nécessaire dont il avait besoin ce soir.

Qu'importe, il la reverrait un autre jour.

Ayla pouvait tout lui dire pour essayer de culpabiliser mais Keylian n'était pas disposée à écouter ce soir. Il savait qu'au fond elle avait raison, mais la douleur était beaucoup trop forte en lui pour pouvoir l'ignorer et il avait besoin de l'évacuer absolument. Cette douleur ne le quittait jamais. Elle était toujours là et ce depuis le jour où il avait appris le mariage d'Arya. Alors peut-être que cela passerait mais aujourd'hui, elle était beaucoup trop imposante pour qu'il puisse l'ignorer. Il cherchait alors des subterfuges pour la tromper. Ayla ne pouvait pas comprendre. Même s'il l'aimait beaucoup et qu'il la côtoyait depuis de nombreuses années, elle ne pouvait pas comprendre. A moins d'être passé par le même genre d'expérience que lui et d'avoir aimé inconditionnellement quelqu'un. Il n'était pas certain qu'elle l'avait un jour été. Alors qu'elle n'essaie pas de lui faire le moindre reproche parce que ça ne passerait pas ce soir. La seule façon qu'il avait

"Geindre? Moi? Après tout ce qui m'est tombé dessus je n'en ai pas le droit peut-être ? Et ta sœur qui a préféré ce nabot de Nott plutôt que moi... et votre père n'est pas mieux. Pour lui, je n'étais même pas assez bon pour ta sœur alors. Nan t'inquiète je vais remonter, je ne vais pas me laisser aller mais dans ce cas si tu veux que j'arrête de geindre je vais me rechercher une bière !" Dit-il très calmement étrangement. Il n'était  pas énervé et l'attitude calme d'Ayla avait sûrement à voir avec. Il se leva sans demander l'autorisation et alla chercher sa bière. Puisqu'il y a rien de plus fort dans ce pub ça suffira. Une fois au comptoir, il se retourna cependant vers Ayla pour dire encore :

« C'est toi qui veut me donner de la culpabilité, mais tu sais quoi ? Ça ne marchera pas.  Cela paraît sans cœur mais à quoi ça sert le cœur de toutes façons ? C'est pas toi qui va me dire le contraire. Ça ne sert qu'à foutre en l'air les gens. C'est pas ça qui nous fait avancer dans la vie. C'est ce qui nous enchaîne et nous traîne. Tout ce que je veux c'est oublier Arya et ne plus jamais tomber dans ce piège et j'userai de n'importe quel stratagème possible. Et puis pourquoi je culpabiliserai de toutes façons ? Je n'ai plus rien à perdre. Arya a abandonné tout espoir en nous le jour où elle a dit oui à Nott. Le jour où elle n'a pas su s'opposer à son père. Je ne te demande pas de comprendre, de toutes façons tu ne le pourrais pas. » La douleur parlait en lui. Il n'y avait nulle colère. Il ne serait de toutes façons jamais en colère contre Ayla. Elle voulait l'aider. Sauf qu'elle ne le pouvait pas. Sa douleur respirait à travers chacune de ses respirations, chacun des pores de sa peau. Il en avait marre de tout, marre de se sentir comme une marionnette balancée d'un côté de l'autre tout ça à cause de ses sentiments pour Arya. Il avait mal de ressentir autant de choses en même temps pour elle, marre d'être jaloux à en mourir pour cet idiot de Nott.

« T'as raison, je vais rentrer chez moi. De toutes façons tu as gâché ma soirée alors … Désolée Ayla. Je suis pas vraiment dans mon assiette en ce moment et là je touche le fond. Je ne suis pas de bonne compagnie. Et si tu savais ce que je m'en fous de ma réputation de toutes façons... Je crois même que si ma mère venait à entrer dans ce lieu ce soir, je lui dirai exactement les mêmes choses et je n'en ressentirai absolument rien. Et tu sais quoi ? Je lui rirais même au nez. » De toutes façons, elle s'en était toujours foutu de lui. Il n'y en avait jamais rien eu que pour leur aîné. Ah ce Alejandro ! Cet enfant qui soi-disant est l'enfant prodige de la famille juste parce qu'elle ne voulait pas voir ses autres enfants et croire qu'ils avaient eux aussi des talents potentiels !  

Il se tourna à nouveau vers le bar avant de commander un grand verre de jus de citrouille (après tout l'alcool qu'il avait eu cela lui fit le plus grand bien dans son gosier). Il reposa bruyamment le verre sur le comptoir avant de lancer quelques pièces au barman puis il se tourna vers Ayla.

« Tu restes ou tu sors avec moi ? » Dehors on s'entend. « L'air frais me fera du bien. »