Artémis avançait prudemment dans les rues de Londres. Elle avait rendez-vous avec une amie “secrète”. Si sa cousine, ou un quelconque autre membre de sa famille, se mettait à lire dans ses pensées, elle serait dans de beaux draps. Contrairement à eux, la Poufsouffle vivait en permanence entourée de sangs-mêlés : sa répartition l’imposait. Depuis sa troisième année, elle avait commencé à fréquenter le groupe social de sa grande cousine, Arya Lestrange. Officiellement, elle n’était pas censée adresser la parole aux autres membres de sa Maison, mais au fil des années, une jeune fille était parvenue à briser la carapace d’Artémis, malgré l’austérité que la sang-pur dégageait.

Elle s’appelait Halina Austin et venait d’une famille moldue campagnarde d’Écosse. Son accent tonitruant avait finalement fait céder Artémis, qui l’évitait à moitié à contre-cœur. Elle ne comprenait toujours pas comment une fille aussi joyeuse que Halina s’était tant attardée sur une camarade qui manifestait un clair désir de solitude. Peut-être que chez les Poufsouffle, s’emprisonner dans une bulle solitaire était impossible. Depuis trois ans, les deux filles entretenaient une relation amicale à l’insu des proches de la sang-pur. Halina semblait avoir compris la situation délicate d’Artémis, pourtant…

- Elle a quand même décidé de m’inviter pendant les vacances… pesta l’héritière Lestrange pendant qu’elle attendait que le feu passe au vert.

La sorcière, toute de noir vêtue, s’était équipée d’un large chapeau et d’une paire de gants fins. C’était tout ce qu’elle avait trouvé pour essayer de cacher au mieux son identité. Après tout, une Lestrange n’avait rien à faire aux côtés d’une né-moldue. Sa longue chevelure flamboyante qui valsait dans son dos au rythme de la brise pourrait la trahir. Apparemment, sa tenue était inappropriée aux chaleurs de l’été, en conclut-elle des regards des passants. Après une longue course dans le dédale londonien, Artémis leva les yeux sur une imposante bâtisse. Sur le portail était inscrit : “Institut des Né-Moldus”.

- C’est ici, soupira-t-elle.

Halina avait été abandonnée par ses parents dès que ses pouvoirs magiques s’étaient manifestés. Elle résidait dans cet institut depuis. Artémis ouvrit le portail et se faufila jusqu’à l’entrée du bâtiment. Dans le jardin qui s’étendait autour de celui-ci, la jeune fille entendait des voix joyeuses : certainement des enfants ou des étudiants nés-moldus. Le soleil frappait avec ardeur sur les épaules couvertes et le chapeau de la sang-pur, mais elle refusait de se dévoiler. Heureusement, elle n’aurait que peu de temps à attendre avant d’avoir l’occasion de sermonner son amie pour son audace et sa fourberie. Le dernier jour de cours, à Poudlard, Halina avait glissé une enveloppe dans les affaires d’Artémis, l’invitant pour cette sortie en ville. Dans l’incapacité de contacter son amie, l'héritière Lestrange avait dû concocter un plan d’évasion pour s’aventurer dans la capitale. Malgré tout, elle se sentait incapable de faire faux bond à son amie. D’ailleurs, pourquoi l’avait-elle invitée ? Artémis secoua la tête : elle n’aurait qu’à lui poser la question en face. Après avoir jeté un rapide regard autour d’elle, comme si elle craignait de voir la silhouette de sa cousine apparaître au coin de la rue, la jeune fille frappa lourdement à la porte boisée qui lui faisait face.

Assise à son bureau, Eleonore répondait à quelques courriers officiels. Une nouvelle inspection se préparait. Heureusement qu’ils lui annonçaient officiellement leur venue, elle pouvait encore tempérer et les élèves n’étaient pas obligés d’être sur leur trente-et-un en permanence. Il fallait bien être honnête, ce qu’elle montrait en inspection n’était pas ce qu’elle leur demandait au quotidien, ou pas totalement. Il y avait une marge. Mais elle n’avait pas le choix, elle était au service du gouvernement. C’était le seul moyen pour être tranquille. Avec la réputation qu’elle se traînait quand elle était à l’école d’amoureuse des moldus, elle avait eu intérêt à s’intégrer si elle ne voulait pas avoir de problèmes.

Elle soupira devant l’évidence, il allait encore falloir prouver sa loyauté à un gouvernement envers qui elle n’était pas loyale. Elle n’en pouvait plus de ces faux-semblants, mais elle n’était pas de taille à lutter, elle n’avait pas une âme de guerrière. Elle était un ange-gardien pacifique. Le pacifisme avait-il encore sa place dans ce monde ? Elle en doutait. Ses pensées furent interrompues par une servante qui lui annonça que quelqu’un était à la porte, quelqu’un qui, de toute évidence n’avait pas à y être ou du moins, dont la présence semblait la perturber. Haussant les épaules, elle prit la direction de l’entrée et aperçut une jeune fille qu’on avait fait entrer dans le vestibule.

« Bonjour, Miss, je suis Miss Clements, la directrice de cet établissement. Puis-je faire quelque chose pour vous ? »

Elle n’avait effectivement pas l’air d’être à sa place. Elle était vêtu et dissimulée comme si elle ne voulait pas être reconnue et elle avait un port altier qui lui rappelait la plupart des sang-purs de bonne famille qu’elle avait rencontrés. Mais elle n’allait pas porter de jugement sur cette personne i sur les raisons de sa venue dans cet endroit. Elle se demanda un court instant si c’était une inspection-surprise, mais songea aussi vite qu’elle avait l’air d’avoir encore l’âge d’être à Poudlard et que son esprit devait être troublé à-cause de ce qu’elle avait lu dans son courrier. Elle allait devoir faire attention si elle ne voulait pas tourner paranoïaque.

« Puis-je vous faire servir une tasse de thé ? Ou quelque chose d’autre ? »

Artémis ouvrit ses grands yeux bleus sur la dame qui lui faisait face. Ce n’était définitivement pas Haline. Dans un coin de son esprit, elle espérait que son amie saurait se montrer ponctuelle et l’attendrait juste derrière la porte pour lui éviter la visite de cet établissement ; mais il lui suffisait de se rappeler du tempérament de Haline pour se rendre compte qu’elle nageait en pleine illusion.

« Que puis-je faire pour vous, mademoiselle ? » demanda la dame après l’avoir sondée d’un regard inquisiteur.
« Bonjour, j’ai un rendez-vous avec Haline Austin, est-elle présente ? » demanda Artémis.

Elle avait utilisé le même registre qu’elle s’était habituée à utiliser avec sa famille. La femme en face d’elle semblait surprise et Artémis craignit que sa couverture fût d’ores et déjà brisée. Dans tous les cas, elle préférait montrer une bonne image pour que sa réputation ne chute pas drastiquement si on venait à la surprendre en ces lieux. Sa mère se serait certainement exprimée autrement à sa place : combien d’insultes à moitié déguisées aurait-elle pu caser en cinq minutes ? Mieux valait ne pas le savoir.

« Elle n’est pas encore descendue de son dortoir, je peux aller la chercher. » déclara la dame, qui ressemblait à une servante de l’établissement.

« Volontiers, merci beaucoup. »

La servante tourna les talons et Artémis réajusta son chapeau. Elle resta immobile jusqu’à ce que le bruit des talons heurtant le sol s’interrompe.

« Entrez, je vous en prie. »

En levant les yeux, la sang-pur observa le couloir qui s’ouvrait devant elle. Avait-elle réellement le droit de pénétrer un tel établissement ? Ne pourrait-elle pas simplement attendre sous le soleil assassin ? Ses bonnes manières l’invitaient à accepter. Après tout, que risquait-elle ? À part croiser des nés-moldus qui la laissaient, de toute manière, indifférente ? L’héritière Lestrange finit par hocher la tête et ses talons foulèrent le carrelage de l’institut. Après seulement quelques mètres dans le couloir principal, la servante s’interrompit.

« Veuillez attendre ici. » déclara-t-elle avant de bifurquer à gauche.

Artémis hocha simplement la tête et posa son regard sur les murs. La décoration était un peu vieillotte, mais pas désagréable au regard pour autant. Quelques bibelots étaient exposés sur des étagères. Comment les enfants de l’institut avaient-ils pu les épargner ? Ils devaient être soit bien élevés, soit aveugles. L’air était frais, bien plus avenant qu’à l’extérieur et Artémis en profita pour prendre une grande inspiration. En fin de compte, l’intérieur du bâtiment n’était pas aussi austère qu’elle l’aurait imaginé. Des bruits de pas se firent entendre dans le couloir voisin et la jeune fille se raidit. Était-ce Halina ? ou un autre résident ? Une petite silhouette se dessina et Artémis inclina la tête en observant la personne qui s’approchait d’elle.

« Bonjours, Miss, je suis Miss Clements, la directrice de cet établissement. Puis-je faire quelque chose pour vous ? » déclara cette dernière.

La directrice ? Artémis fit de son mieux pour masquer sa surprise. Elle n’avait jamais croisé de personnes atteintes de nanisme auparavant. Sa mère avait, évidemment, un avis bien tranché sur ce genre de « spécimens », mais la jeune fille n’en avait que faire. Le regard de Miss Clements avait l’air tendre, bien qu’un peu intrigué.

« Bonjour » répondit-elle avec un léger sourire, « je m’appelle Art… Alice, Alice Austin. Je suis une cousine éloignée de Halina. Je l’attends pour notre sortie. »

La jeune fille résista tant bien que mal au besoin de se mordre la lèvre après ce mensonge. Elle n’avait pas subi les rayons de soleil pendant plus d’une heure pour révéler sa véritable identité à la première venue. Elle sentait son cœur la punir d’une pulsation pleine de culpabilité mais se força à garder la tête haute. Elle comptait sur la perspicacité de Halina pour comprendre son stratagème, mais ses espoirs sombrèrent lentement tandis qu’elle se souvenait des résultats scolaires de sa camarade. Au moins, elle risquait d’être heureuse de pouvoir l’appeler « Austin ».

« Puis-je vous faire servir une tasse de thé ? Ou quelque chose d’autre ? » demanda Miss Clements.

Alors qu’elle s’apprêtait à refuser, Artémis pensa au temps que prenait Halina pour choisir ses tenues, dans les dortoirs de Poudlard. Si elle devait attendre debout dans ce couloir, les quelques peintures ne suffiraient pas à la distraire suffisamment.

« Avec plaisir. » répondit-elle enfin en retirant son chapeau.

La jeune fille que Eleonore venait de croiser semblait autant à sa place dans ce hall d'entrée qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il était évident qu'elle ne tenait pas à faire connaître son identité puisqu'elle venait de lui mentir effrontément et avec bien peu de crédibilité, en plus de cela. S’il y avait bien une chose dont Eleonore était sure, c'était que tous les membres de la famille encore à Poudlard que ses protégés pouvaient avoir étaient forcément eux-mêmes pensionnaires de l'établissement à quelques exceptions prêtes, dont elle avait été toutefois informée de l'existence. En l'occurrence, il était tout à fait impossible que cette jeune fille soit la cousine de qui elle prétendait.

Elle ne semblait pas se rendre compte que son histoire était totalement impossible et qu'elle prenait le risque de se voir confrontée à quelqu'un qui la mettrait dans une situation peu enviable auprès de sa véritable famille. Sa chance venait du fait que la naine blonde était globalement dans l'optique d'éviter les soucis à ses petits protégés ainsi qu’aux amis qui avairnt la gentillesse de ne pas les traiter comme des exclus et de prendre soin d'eux quand elle n'était pas capable de le faire. Elle n'avait pas besoin de savoir qui était exactement cette jeune fille. Si celle qu'elle était venue chercher était prête à passer une journée avec elle, c'était qu'elle l'avait mérité.

« Non. Vous n'êtes pas sa cousine, pour la bonne raison que si tel était le cas, vous seriez ici-même, ou dans une famille dont j'aurais connaissance. Mais c'est sans importance. Puisque vous le souhaitez, je vous appellerai Alice. »

Elle l'installa dans son bureau confortablement et sortit une bouilloire avec laquelle elle fit chauffer de l'eau pour le thé avant de lui proposer une coupelle contenant des gâteaux. Elle était certaine que la jeune fille ne serait pas contre une petite gourmandise, mais si elle n'en voulait pas, ce ne serait pas grave. La directrice de l'établissement n’hésiterait pas, pour sa part, à en profiter autant qu'elle le pourrait. Eleonore était quelqu'un de gourmand et elle appréciait les petits plaisirs qui ornent une journée sans parfois qu’ils n'aient plus d'importance que cela.

« Servez-vous, si vous le désirez. Vous venez donc voir Halina Austin. C’est une bonne petite. Vous avez fait connaissance à l'école ? » demanda-t-elle en prenant elle-même un biscuit dans lequel elle croqua.